Rupture du lien de confiance
L'impact silencieux des IA génératives
IA
Sylvain Morizet
9/29/20253 min read


Nous vivons une époque où la vérité chancelle. Non pas parce que nous aurions cessé d’y croire, mais parce que nos outils eux-mêmes sapent les conditions de sa reconnaissance. L’intelligence artificielle générative, en imitant nos gestes d’écriture, de parole et d’image, déplace insidieusement la frontière entre authenticité et illusion. Le lien de confiance, fondement discret de nos relations sociales, s’en trouve menacé.
Depuis toujours, ce lien repose sur une évidence fragile : ce que je lis a été écrit par quelqu’un, ce que j’entends a été dit par une voix incarnée, ce que je vois résulte d’un geste humain. Or, ce fil invisible se rompt dès lors qu’une machine peut produire, sans effort ni vécu, un texte, un tableau, une mélodie indiscernables de ceux d’un créateur. L’affaire Hypnocratie en a offert l’illustration brutale : encensé comme l’œuvre d’un génie, ce best-seller philosophique a été discrédité du jour où l’on a appris qu’il avait été largement rédigé par une IA. Ce qui avait été jugé « profond » devenait soudain « creux », non pas parce que le contenu avait changé, mais parce que son origine avait été révélée.
C’est là un paradoxe contemporain : nous exigeons de l’authenticité, mais nous sommes incapables de la garantir. Comme le soulignait déjà Jacques Ellul dans sa réflexion sur la propagande, les sociétés techniciennes reposent sur des systèmes d’influence invisibles qui uniformisent les comportements. L’IA s’inscrit dans cette logique : elle fabrique du vraisemblable à grande échelle, alimente des récits, des images, des voix, qui s’imposent comme « naturels ». La frontière entre information et manipulation, entre témoignage et fabrication, devient poreuse. La confiance, une fois ébranlée, cède la place à une ère de suspicion généralisée.
Les conséquences dépassent le seul domaine des arts ou de la culture. Elles touchent au cœur de nos interactions humaines. Quand un étudiant peut déléguer son devoir, quand une conversation en ligne peut être tenue par un agent artificiel, quand une vidéo peut mettre en scène une voix clonée, que reste-t-il de la rencontre entre deux consciences ? Comme le rappelait la tradition phénoménologique, la reconnaissance mutuelle fonde notre rapport au monde. Or, avec l’IA, je parle parfois dans le vide, face à une simulation qui ne me reconnaît pas. Je reste seul avec l’illusion de ne pas l’être.
Il ne s’agit pas de condamner ces technologies en bloc. Elles peuvent, si elles sont encadrées, stimuler la créativité, démocratiser l’accès aux savoirs, prolonger la mémoire. Mais elles imposent une lucidité nouvelle. La confiance ne peut plus être présupposée : elle doit être vérifiée, attestée, parfois certifiée. D’où les débats sur les labels « 100 % humain », les dispositifs de traçabilité, les garde-fous juridiques. Mais peut-on vraiment restaurer par la technique ce que la technique a détruit ?
La question est moins de savoir si l’IA « pense » que de comprendre ce qu’elle altère dans nos liens symboliques. Elle ne supprime pas seulement l’effort du créateur ; elle sape la croyance dans la parole, dans la signature, dans l’engagement de celui qui dit « je ». En ce sens, la rupture du lien de confiance est peut-être le défi le plus profond de notre temps : non pas un accident provisoire, mais une mutation anthropologique.
L’IA nous force à redécouvrir que la confiance est une construction lente, patiente, fragile — et qu’aucun algorithme ne saurait la garantir.
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