Les auteurs-compositeurs sont-ils condamnés à l’obsolescence ?
Réflexions après un test grandeur nature des IA musicales
MUSIQUE ET IA
Sylvain Morizet
4/30/20253 min read


Le 2 avril 2024, la U.S. Copyright Office publiait un rapport très attendu sur la protection juridique des œuvres générées par intelligence artificielle. Le principe fondamental y est réaffirmé avec clarté : seul l’humain peut bénéficier du droit d’auteur. Si une chanson est créée sans intervention humaine significative — c’est-à-dire sans intention créatrice traduite dans une forme tangible — elle n’est pas protégeable. Elle appartient au domaine public.
Voilà pour la théorie. En pratique, un an plus tard, les frontières deviennent floues. Car les outils d’IA musicale ont franchi un cap spectaculaire. À tel point qu’une question se pose aujourd’hui avec acuité : à l’heure où l’intelligence artificielle peut générer une chanson complète en quelques secondes, le métier même d’auteur-compositeur est-il menacé ?
IA musicale : état des lieux en 2025
Rick Beato, figure influente du monde musical anglo-saxon, a récemment publié une vidéo analysant les plateformes Murea, Udio et Suno. Ces générateurs automatisés, capables de créer des chansons entières à partir d’un simple prompt textuel, vont bien plus loin que les banques de sons ou les assistants de composition. Il s’agit d’outils full-stack, qui produisent simultanément mélodie, paroles, harmonie, instrumentation, mix… et interprétation vocale synthétique.
Les résultats sont parfois bluffants. Certaines chansons générées sonnent comme des hits pop ou country crédibles, avec une efficacité mélodique et une structure parfaitement assimilée. Les IA reproduisent non seulement les codes stylistiques, mais aussi les clichés émotionnels du genre. À tel point que, comme le dit Beato : “Can people tell the difference? I don’t think so.”
Sur certaines créations, la voix synthétique reste repérable (timbre artificiel, attaques floues, effets excessifs de réverbération). Les guitares sonnent parfois comme des claviers mal échantillonnés. Mais les progrès sont rapides. Et surtout : le grand public se souciera-t-il vraiment de ces artefacts techniques ?
L’illusion de la création
Derrière ces démonstrations technologiques, une question plus profonde émerge : faut-il être musicien pour faire de la musique ?
À l’évidence, non. Ces outils visent justement les non-musiciens : utilisateurs capables d’exprimer une intention (“une ballade pop mélancolique avec voix féminine”) mais incapables de la réaliser techniquement. L’IA devient alors un interprète potentiel de l’imaginaire.
Dès lors, la fonction de l’auteur-compositeur change de nature : elle glisse du savoir-faire vers le savoir-formuler. Être artiste ne consiste plus à écrire la musique, mais à piloter sa génération. L’humain devient curateur, superviseur de style, voire correcteur d’émotions préfabriquées.
Une menace réelle… mais pas là où on l’attend
Ce n’est pas tant la qualité actuelle des chansons générées qui doit alerter, que la vitesse à laquelle elles évoluent. En moins d’un an, Suno a intégré des subtilités de mixage, d’interprétation et de langage que les assistants d’écriture mettaient des années à atteindre.
Mais le vrai danger n’est pas celui d’une IA “géniale”. Il réside dans une forme de résignation culturelle : si l’oreille du public s’habitue à une musique sans chair, sans nuance, sans faille humaine… alors le besoin d’auteur disparaît naturellement.
Et c’est sans doute la prédictibilité de l’industrie musicale elle-même qui a pavé la voie : si tout finit par sonner pareil, pourquoi payer des humains pour le produire ?
Et maintenant ?
Faut-il pour autant conclure à la fin de l’auteur-compositeur ? Pas si vite.
Car si l’IA peut émuler le style, elle ne vit aucune histoire. Elle ne doute pas, ne renonce pas, ne recommence pas. Or, une œuvre véritable est toujours plus qu’un agencement de sons efficaces. Elle est une condensation de vécu, de résistance, de gestes humains imparfaits.
En tant qu’artiste et technicien, je crois que l’IA musicale, loin de rendre les auteurs obsolètes, les pousse à se réinventer :
en affirmant leur singularité narrative face aux clones statistiques,
en cultivant le détail non prévisible,
en interrogeant la dimension éthique de la création.
En somme, plus que jamais : nous sommes attendus là où l’IA ne peut aller.
Conclusion
Les plateformes d’IA musicale impressionnent. Elles interrogent. Et elles inquiètent à juste titre. Mais elles ne signent pas la fin de la création humaine. Elles en déplacent les enjeux.
L’artiste n’est pas mort. Il est convoqué à se repositionner, à redevenir insubstituable non pas techniquement, mais existentiellement.
Alors la vraie question n’est peut-être pas : L’IA va-t-elle tuer les compositeurs ?
Mais : Le public voudra-t-il encore que la musique lui ressemble ?
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