La nécessité de reconnecter la musique de film au grand répertoire
Servir la musique en s'inspirant des maîtres pour nourrir l'art de la composition
Sylvain Morizet
11/29/20245 min read


Depuis les années 2000, la Musique Assistée par Ordinateur (MAO) s'est largement démocratisée. La baisse des coûts du matériel informatique, de l'équipement audio et des logiciels a permis à un grand nombre de compositeurs d'accéder à des outils autrefois réservés à une élite. Les machines peuvent désormais simuler des orchestres de manière de plus en plus crédible, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités créatives.
Cependant, vers 2012, le marché de la musique orchestrale a subi un revers significatif, particulièrement en France. Les budgets dédiés à la musique de film se sont effondrés, rendant plus difficile la production de bandes originales orchestrales de grande envergure. Cette situation a conduit à une transformation du paysage musical, où les compositeurs se sont tournés vers des solutions plus économiques et souvent plus synthétiques.
Parallèlement, de nombreuses classes de musique de film ont vu le jour dans les conservatoires et les écoles privées. Si cette expansion de l'éducation musicale est en soi positive, elle a également engendré une génération de compositeurs qui, pour beaucoup, n'ont connu que les machines. Nombre d'entre eux ne sont pas des instrumentistes de haut niveau et, parfois, ne lisent même pas la musique. Leur approche de la composition est souvent guidée par les possibilités techniques des logiciels plutôt que par une connaissance approfondie du langage musical traditionnel.
Les compositeurs de la grande époque du cinéma, tels qu'Ennio Morricone, John Williams, Jerry Goldsmith, Bernard Herrmann, Maurice Jarre, John Barry, Howard Shore, James Horner, Joe Hisaishi, Thomas Newman ou Elmer Bernstein, entretenaient un lien étroit avec le grand répertoire. Influencés par des maîtres comme Ravel, Stravinsky ou Debussy, ils étaient également des instrumentistes accomplis et, pour certains, des chefs d'orchestre.
Ennio Morricone, par exemple, a su apporter l'écriture de l'orchestre contemporain à la musique de film, fusionnant les techniques avant-gardistes avec des mélodies inoubliables. Formé au Conservatoire de Santa Cecilia à Rome, il a intégré des éléments de musique classique et expérimentale dans ses compositions, créant ainsi un style unique qui a marqué des générations. Comme il l'a dit lui-même : « La musique doit soutenir le film, mais elle doit aussi avoir sa propre vie. »
John Williams, célèbre pour ses compositions emblématiques, a toujours reconnu l'influence des grands maîtres sur son travail. Il a déclaré : « Je pense que tous les compositeurs sont influencés par ceux qui les ont précédés. La musique classique est une source inépuisable d'inspiration. » Sa profonde compréhension du répertoire symphonique lui a permis de créer des œuvres qui résonnent avec le public du monde entier.
Bernard Herrmann, connu pour ses collaborations avec Alfred Hitchcock, était un ardent défenseur de l'innovation musicale. Il disait : « La musique est le souffle de l'âme du film. » Sa maîtrise de l'orchestration et son utilisation audacieuse des timbres ont redéfini la manière dont la musique pouvait servir la narration cinématographique.
Il est important de souligner que ce discours ne se veut pas passéiste ou nostalgique. Les grands génies, dans l'histoire de l'art, ont toujours su intégrer les découvertes passées pour écrire leur propre langage. Ils ne se contentaient pas de reproduire le passé, mais le réinterprétaient pour créer quelque chose de nouveau et d'authentique. En s'appuyant sur le grand répertoire, ils ont développé des œuvres qui résonnent encore aujourd'hui.
Jusqu'en 1945, les compositeurs étaient souvent des interprètes et des improvisateurs. La pratique instrumentale, bien qu'extrêmement chronophage, permet de développer l'imaginaire et de comprendre intimement les possibilités expressives de chaque instrument. Cette connexion profonde avec l'instrument enrichit la composition et offre une palette émotionnelle plus large. Comme le disait Maurice Jarre : « La musique de film est un art qui nécessite une compréhension profonde des émotions humaines, et cela passe par une maîtrise de son propre instrument. »
Le succès des ciné-concerts
Une résonance avec le grand répertoire
Un signe clair de l'importance de cette connexion avec le grand répertoire est le succès croissant des ciné-concerts. Ces événements, où des films sont projetés avec l'accompagnement d'un orchestre live, attirent un public toujours plus large. Les films mis en avant sont principalement des films d'aventure ou de science-fiction des années 80 et 90, tels que Star Wars, Indiana Jones, Le Seigneur des Anneaux ou Jurassic Park. Ces œuvres sont dotées de musiques héritées de la grande tradition symphonique, composées par des maîtres comme John Williams, Howard Shore ou James Horner.
Le fait que ces ciné-concerts rencontrent un tel engouement démontre l'attachement du public à une musique de film riche et orchestrale. Elle évoque des émotions profondes et une nostalgie liée à une époque où la musique de film était intimement liée au grand répertoire. Les spectateurs ne viennent pas seulement voir un film, mais vivre une expérience immersive où la puissance de l'orchestre amplifie l'impact narratif et émotionnel de l'œuvre cinématographique.
Howard Shore, compositeur de la trilogie Le Seigneur des Anneaux, a déclaré : « Je considère la musique de film comme une forme d'art qui fonctionne au sein de l'art du cinéma. Elle a le pouvoir de toucher le public à un niveau profond, en combinant l'émotion de la musique avec la narration visuelle. »
Reconnecter pour innover
Aujourd'hui, il est crucial pour la musique de film contemporaine de se reconnecter avec ce grand répertoire. Cela ne signifie pas un rejet de la technologie ou des nouvelles méthodes de composition, mais plutôt une intégration harmonieuse des techniques traditionnelles et modernes. En cultivant une relation avec la musique classique, en développant des compétences instrumentales et en approfondissant la lecture musicale, les compositeurs actuels peuvent non seulement honorer la tradition, mais aussi la faire évoluer pour répondre aux défis artistiques du XXIᵉ siècle.
James Horner, connu pour ses compositions pour Titanic et Braveheart, soulignait l'importance de cette fusion : « Mon travail consiste à m'assurer qu'à chaque tournant du film, c'est quelque chose que le public peut ressentir avec son cœur. Cela vient d'une profonde compréhension de la musique et de son histoire. »
La technologie a indéniablement ouvert de nouvelles voies pour la composition musicale. Cependant, pour toucher véritablement le public et créer des œuvres durables, il est essentiel de s'appuyer sur les fondations solides du grand répertoire. Les ciné-concerts illustrent bien que le public est en quête de cette authenticité et de cette richesse musicale.
C'est en se tenant sur les épaules des géants que l'on peut voir plus loin et continuer à faire évoluer l'art de la musique de film. En renouant avec les traditions tout en embrassant l'innovation, les compositeurs peuvent créer des bandes originales qui résonnent avec le public d'aujourd'hui et de demain.
En conclusion, la réappropriation du grand répertoire n'est pas un pas en arrière, mais un tremplin vers une expression artistique plus profonde et plus authentique. Comme le disait Joe Hisaishi, compositeur pour les films de Hayao Miyazaki : « Il est important de créer une musique qui possède une universalité, qui va au-delà des nationalités et des races. » Cette universalité se trouve souvent dans la richesse et la profondeur de la tradition musicale, qui continue d'inspirer et d'émouvoir les auditeurs du monde entier.
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