AlphaEvolve

L'émergence d'une intelligence artificielle auto-évolutive

IA

Sylvain Morizet

5/26/20254 min read

En mai 2025, Google DeepMind a publié un article discret, mais potentiellement historique : la présentation d’AlphaEvolve, un système d’intelligence artificielle capable de concevoir, tester, optimiser et améliorer ses propres algorithmes. Ce projet combine des modèles de langage de type Gemini avec des processus d’évaluation automatisée pour créer une boucle de perfectionnement continu. Mais au-delà de l’effet d’annonce, que révèle vraiment ce travail ? Et que signifie-t-il pour l’avenir de la recherche, du calcul scientifique, et de l’IA elle-même ?

De la génération à l'évolution

AlphaEvolve repose sur un principe fondamental : l’IA ne se contente plus de générer des solutions, elle les évalue, les modifie, les améliore, et les transmet à la génération suivante. Le modèle combine plusieurs versions de Gemini (2.0 Pro, 2.0 Flash), des modèles disponibles au public, avec un système d’évaluation automatisé capable de tester et comparer les performances de chaque solution produite.

L’idée est directement inspirée des algorithmes génétiques et du modèle darwinien de l’évolution : mutation, sélection, réplication. L’humain n’intervient que pour fixer les contraintes et les objectifs ; le reste est laissé à la machine.

Percées mathématiques : au-delà de Strassen

Une amélioration sur un problème figé depuis 1969

L’algorithme de Strassen, conçu en 1969, permet de réduire le nombre de multiplications dans une multiplication matricielle. Depuis plus de 50 ans, personne n’avait trouvé de moyen de l’améliorer pour les matrices 4x4 complexes. AlphaEvolve, sans intuition humaine, a proposé une version nécessitant 48 multiplications scalaires au lieu de 49. Un gain minime ? Pas du tout. Les modèles IA modernes reposent tous sur la multiplication de matrices. Une optimisation de 1 unité à cette échelle représente des gains cumulés à l'échelle de milliards de calculs par seconde.

Résolution d'un problème en 11 dimensions

Autre résultat spectaculaire : la découverte que dans un espace à 11 dimensions, une sphère peut être tangente à 593 autres sphères identiques, sans chevauchement. Ce "kissing number problem", sujet de recherche depuis plus de trois siècles, n’avait jamais été résolu pour cette dimension. L’IA a fourni une solution rigoureuse, validée par preuve formelle.

Optimisations industrielles : infrastructures, calculs, circuits

Une IA déjà en production chez Google

Le plus impressionnant reste peut-être la portée concrète d’AlphaEvolve. Une de ses optimisations, aujourd’hui en production depuis plus d’un an, permet à Google de récupérer 0,7 % de ses ressources de calcul à l’échelle mondiale. Une économie estimée à plusieurs centaines de millions de dollars par an.

Conception des puces TPU

Les Tensor Processing Units (TPU), puces IA de Google, ont été partiellement réécrites grâce à AlphaEvolve. Ce dernier a supprimé du code redondant, réécrit des noyaux de calcul, et accéléré des circuits critiques de 23 %, réduisant le temps d'entraînement global de Gemini de 1 %.

Cette réduction « minime » représente, à l’échelle de plusieurs semaines d'entraînement, une économie massive de temps, d’argent et d’énergie.

L’émergence d’une boucle d’autoamélioration

Pour la première fois dans l’histoire de l’IA, un modèle a contribué directement à l’amélioration de son propre processus d’entraînement. Le papier de DeepMind parle d’une "novel instance" : un cas inédit où un modèle améliore son propre logiciel, mais aussi le matériel sur lequel il s'exécute. Gemini a optimisé Gemini, à travers AlphaEvolve.

On entre ainsi dans une boucle récursive d’autoamélioration :

  1. L’IA propose de meilleures méthodes d'entraînement

  2. Ces méthodes génèrent des IA plus efficaces

  3. Ces IA plus puissantes conçoivent à leur tour de meilleures méthodes

La boucle se referme. C’est le point de départ potentiel de l’intelligence explosion, décrite depuis des années dans la littérature prospectiviste.

Un fonctionnement hybride : modèles + évaluateurs + cycle darwinien

AlphaEvolve combine plusieurs composantes :

  • un ensemble de modèles de langage (Gemini Flash, Gemini Pro)

  • un système d’évaluation automatique des solutions (performance, simplicité, originalité)

  • une base de programmes sur lesquels travailler

La boucle fonctionne comme suit :

  1. Un prompt est généré

  2. Les LLM produisent plusieurs solutions

  3. Celles-ci sont testées selon une cascade de difficultés

  4. Les meilleures passent à la génération suivante

Les évaluations sont parallélisées, et complétées par des analyses de qualité plus subjectives (lisibilité, simplicité). Le système mélange exploration (diversification) et exploitation (convergence), à l’image des mécanismes d’apprentissage par renforcement ou de notre propre comportement cognitif.

Perspectives : vers l'automatisation de la recherche scientifique

AlphaEvolve signe peut-être le début d’une nouvelle ère. Si l’IA peut améliorer la recherche algorithmique, elle pourrait à terme s’attaquer à d’autres domaines :

  • Sciences fondamentales : chimie quantique, physique des matériaux, biologie computationnelle

  • Technologies avancées : désign de circuits intégrés, optimisation du code machine, compilation automatique

  • Santé et pharmaceutique : découverte de médicaments, simulation de protéines, génie génétique assisté par IA

  • Transition écologique : amélioration de l'efficacité énergétique, gestion de réseaux électriques intelligents

  • Systèmes complexes : planification logistique, transport, modélisation climatique

La condition ? Pouvoir formuler une métrique d'efficacité, un critère de score à maximiser ou minimiser. À partir de là, AlphaEvolve peut explorer, proposer, améliorer.

Conclusion

Ce que Google a dévoilé n’est ni un gadget ni un jouet de laboratoire. AlphaEvolve est une véritable plateforme d’évolution automatisée, où les IA optimisent des systèmes entiers (logiciels et matériels), y compris leur propre architecture.

C’est peut-être le premier pas vérifiable vers une IA auto-évolutive à large spectre, capable de dépasser les limites de la conception humaine. Nous ne sommes pas encore à l’AGI, mais nous avons franchi un seuil conceptuel majeur.

Et si ce que nous observons n’est que le début, où serons-nous en 2028 ?

Sources et lectures complémentaires